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20 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

n'est une caractéristique que de la tragédie du dix-septième siè - cle, et que le théâtre peut se concevoir sans elle (1). Il suffit d'un caractère ou d'un sentiment passionné, qui tende vers un objet, le plus souvent intérieur (décision de volonté, crise du cœur). Que le héros raconte le passé ou agisse pour son compte, c'est à son émotion présente que la musique doit s'attacher. Notre cœur vibre toujours, même quand nous raisonnons froidement et que nous causons avec ennui. La musique représente le cœur au théâtre. Elle ne doit jamais le laisser éteindre, soit qu'il s'aban- donne à de vagues pensées, soit qu'un travail intérieur le mine' et le consume. — Malheureusement, les musiciens français l'ont souvent oublié, et ils donnent raison à la critique de Boi- leau, en s'appliquant trop exclusivement à décrire les actions et les faits extérieurs. — Il faut ajouter que, malgré les curio- sités psychologiques dont se tourmente notre élite littéraire d'une façon un peu apprise, notre théâtre s'intéresse décidément plus à l'action qu'aux sentiments, et presque au but de l'action plus qu'à l'action même. Dans tous les mouvements de passion et les revi- rements de pensée, qui font flotter la pièce du commencement du second à la un du quatrième acte, notre public français est tou- jours préoccupé de savoir à quelle conclusion, à laquelle des deux conclusions (rarement sont-elles plus nombreuses), nous mène le personnage, ou l'auteur de la pièce. Il ne s'abandonne pas assez naïvement aux fluctuations du drame; dans tous les sentiments il considère surtout le côté pratique et actif, ce qui tend à l'action. La pure langue de l'âme, l'émotion désintéressée, la musique, le distrairait trop profondément de son objet. Il la relègue volon- tiers dans l'entr'acte à titre de repos ou d'amusement, ou dans les pièces pompeuses ou plaisantes, au fond indifférentes, comme le grand opéra et l'opéra comique (2).

(1) L'exposition narrative en particulier de la tragédie classique est évi- demment peu propre à l'opéra, qui veut entrer immédiatement dans l'ac- tion sans avoir recours à la' mémoire, à la raison et à toutes les facultés in- tellectuelles. Mais celle-là même ne lui est pas impossible, si le musicien veut l'éclairer par l'émotion intérieure, et non par le détail, en quelque sorte historique, qui n'appartient qu'à la parole raisonnée. Est-il utile de rap- peler le puissant usage que Wagner a fait du récit dans la Tétralogie et dans Parsifal, au moyen du rappel des motifs musicaux, qui jettent comme une lumière mystérieuse et prophétique dans l'obscure suite des faits !

(2) « On va voir une tragédie pour être touché; on se rend à l'Opéra par désœuvrement et pour digérer. » (Voltaire à Chabanon, 12 février 1768.)

« Entendre toujours chanter, est une chose bien ennuyeuse, » dit Guillaut dans la comédie de Saint-Evremond (Les Opéra).

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