284 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.
Tout autre est Alessandro Scarlatti (1), plus dilettante et moins vivant. Chez lui, l'abondance de verve n'est que richesse de style; c'était chez Stradella l'opulence du sang. L'un agit, l'autre écrit. Ni l'un, ni l'autre ne pensent. Il y a loin de ces hommes, aux sérieuses émotions du vieux Provenzale. Ce sont pourtant encore, l'un et l'autre, de grands artistes, plus richement doués, plus maîtres de la forme. Leur époque est une floraison de splendeur matérielle. Une telle abondance, fût-elle corrompue, garde pour- tant en elle je ne sais quelle moralité. Ce torrent de création n'est ni profond, ni pur; il est beau cependant par sa puissance même. Jamais depuis, telle opulence de musiques; mais l'art est plutôt admirable que les artistes. La forme est belle; trop belle ; il n'y a nul rapport avec ce qu'elle exprime; elle le domine et le fait oublier, comme en ces airs grandioses du Saint- Jean-Baptiste de Stradella (2). Au hasard de la verve fleurissent les mélodies ; en un bouquet factice, d'un goût prévu d'avance , la logique de l'Aria les cueille et les rassemble. Les fleurs sent précieuses, étiolées, d'une fadeur subtile; le bouquet est simple avec manié- risme, et ne manque jamais d'éclat. Mais qu'il fait regretter les parfums plus agrestes, moins délicats. sans doute, de Schûtz et de Carissimi ! Par sa seule abondance, cet art sans naïveté con- serve sa grandeur. Mais le caractère s'est abaissé; les passions sont, affaiblies; le travail se relâche; l'intelligence même est moins vive, surtout moins attentive. Sa finesse se dépense à faire illusion , à chercher le succès, à le trouver sans cesse par des moyens médiocres. C'est le paresseux abandon de natures riche- ment douées.
Je me propose d'étudier plus tard cette époque. Elle offre de grandes facilités à l'histoire, parle nombre considérable d'œuvres qui portent témoignage pour elle, et dont la plupart sont encore inconnues. Elle a de vives séductions pour les sens, et la musique pure y trouvera plus de charme, qu'à l'austère période que nous avons parcourue. Je ne puis l'aborder ici ; elle m'entraînerait beaucoup trop loin. Nous touchons avec elle à l'époquo contem- poraine.
On peut voir dans Rossini et les Italiens de nos jours, les
exécuté en 1676, à Rome, au Latran ; et c'est lui qui, d'après la légende de Bourdelot, sauva la vie à l'artiste, en tirant des larmes de ses assassins.
(1) Alessandro Scarlatti, né à Trapane en 1649, mort à Naples le 24 octo- bre 1725. Il débuta en 1684 à Naples, avec Pompeo ; dès 1680, à Rome, avec VOnestà nell' amore.
(2) Hsendel en est directement sorti.
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