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L'OPÉRA EN FRANCE. 227

Ainsi, le besoin de raisonnement qu'a Saint-Evremond, l'amène

à repousser l'opéra et à trouver d'instinct l'opéra-comique. Mais

à qui s'adressent ses critiques de l'opéra? Aux musiciens fran- çais, aux poètes français. Est-il donc impossible de maintenir une pièce dans les hauteurs lyriques, enveloppée d'une lumière poéti- que où tous ses actes se transfigurent? Dans les Niebelungen de Wagner, le familier et le trivial coudoient à chaque instant le sublime; mais l'épopée conserve son caractère héroïque. Bien plus, les Italiens ont réussi à traduire en musique les scènes fa- milières. Personne ne songe à l'invraisemblance des spirituels dialogues de leurs opéras bouffes; tout le monde est choqué pnr l'emphatique platitude de la plupart de nos récitatifs français. C'est que nos musiciens, comme souvent nos poètes, travaillent trop avec leur intelligence, et que les Italiens se jettent dans une œuvre avec toute leur vie. Gomme il n'y a rien d'indifférent pour eux, tout leur est un prétexte à poésie et à musique : les événements journaliers et les riens de la conversation. Qui se douterait en France que la Serva padrona est l'exacte expres- sion de l'accent et des gestes italiens? Nous subissons sa verve; nous ne la comprenons pas ; il y a là pour nous une exagération de vie, d'ailleurs comique et bien rendue, où l'Italien voit la vie même et des êtres de son sang : c'est lui qui a raison.

Faute de cette joie ou de cette tristesse passionnée, dont le Midi colore la réalité; faute de l'ardente méditation et des musi- ques intérieures, que chante l'âme du Nord, que reste-t-il au Français? L'exact spectacle de la vie; et il a, pour le retracer, une langue admirable, sobre, précise et claire. Quel besoin a-t-il de la musique (I)? Ce n'est pas une nécessité du cœur, mais un luxe de spectacle. Il ne s'agit que d'en tirer le meilleur parti.

« L'esprit de la représentation est préférable à celui de l'har- monie; car l'harmonie ne doit être qu'un simple accompagne- ment. Il faut que la musique soit faite pour les vers, bien plus que les vers pour la musique. C'est au musicien à suivre l'ordre du poète (2). »

Il est curieux de rapprocher de cette déclaration, celle de

pu, aux dépens du bon sens et de la raison, entendre tous ces héros me parler de leurs malheurs en chantant. » (Baron, Le Coquet trompé, acte II, scène 9.)

(1) « Les vers naïvement répétés représentent plus aisément la conversa- tion, et touchent plus les esprits que le chant ne délecto les oreilles. » (Madame de Motteville, II, 168, édit. Potitot.)

(2) Saint-Evremond, Lettre sur les Opéra.

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