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226 LES ORIGINES DU THEATRE LYRIQUE MODERNE.

Que reste-t-il à l'opéra, si l'on retranche de l'art le monde des sentiments inconscients et passionnés, où la raison n'a que faire, et dont elle n'est pas maîtresse? Les sentiments moyens, les ac- tions journalières, le spectacle de la vie commune? Mais quel be- soin de la musique, pour chanter ce que la. parole peut mieux dire? C'est l'avis de Saint-Evremond ; et il lui est bien aisé d'avoir raison. Il s'est fait la partie belle.

« Il y a une autre chose dans les Opéra, tellement contre la nature, que mon imagination en est blessée; c'est de faire chan- ter toute la pièce, depuis le commencement jusqu'à la fin, comme si les personnes qu'on représente s'étaient ridiculement ajustées pour traiter en musique, et les plus communes et les plus im- portantes affaires de leur vie. Peut-on s'imaginer qu'un maître appelle son valet ou qu'il lui donne une commission en chan- tant, qu'un ami..., etc. (1). »

��très curieuse, et prouve chez l'auteur un réel sentiment de la musique.

et Les Italiens passent constamment du bécarre au bémol , hasardent les cadences les plus forcées, les dissonances les plus irrégulières. Où les Français se croiraient perdus- s'ils faisaient la moindre chose contre les règles, ils changent brusquement de ton et de mode, font des cadences dou- blées et redoublées de sept et huit mesures sur des tons que nous ne croi- rions pas capables de porter le moindre tremblement; des tenues d'une longueur prodigieuse, qui indigne et enthousiasme; des passages d'une étendue extraordinaire sur des tons irréguliers qui jettent la frayeur dans l'esprit; on croit que tout le concert va tomber dans une dissonance épou- vantable; et intéressant par là dans la ruine dont toute la musique paraît menacée, ils rassurent aussitôt par des chutes si régulières, que chacun est surpris de voir l'harmonie renaître de la dissonance... Ils hasardent, mais comme dos gens qui sont en droit de hasarder, et qui sont assurés du suc- cès, qui ont le sentiment d'être les premiers hommes du monde pour la mu- sique; ils se mettent au dessus de l'art, mais en maîtres de l'art, qui sui- vent ses lois quand ils veulent, et les brusquent quand il leur plaît. »

Perrault parle presque de la même façon , dans son éloge de Lully, qui pourtant accommoda son génie italien au goût français.

« Il a sçû parfaitement les règles de son art ; mais au lieu que ceux qui l'ont précédé n'ont acquis de la réputation que pour les avoir bien obser- vées dans leurs ouvrages, il s'est particulièrement distingué en ne les sui- vant pas , et en se mettant au dessus des règles et des préceptes. Un faux accord, une dissonance, étoit un écueil où échouaient les plus habiles, et c'a esté de ces faux accords et de ces dissonances que M. de Lully a com- posé les plus beaux endroits de ses compositions, par l'art qu'il a eu de les préparer , de les placer et de les sauver. » (Les hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle , avec leurs portraits au naturel, par M. Perrault, de l'Académie française.)

(1) La Marquise : Pour moi, quoique fort jeune l'on m'ait bercée de mu- sique, que l'on me l'ait fait apprendre avec soin, je vous jure que je n'ai

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