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168 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

avec les scènes sérieuses; ils s'inspirent de la vie commune, du monde des petits bourgeois. L'esprit n'est ni très fin, ni bien mé- chant; mais il a une vivacité native, et l'opéra buffa y fait ses premières armes (1). La partie tragique prend aussi un caractère plus emporté et plus outré, en un mot plus italien. Les péripéties saisissantes abondent ; les Vénitiens savent tenir le public en haleine ; leur imagination brûlante, parfois dévergondée, a sou- vent le secret du fantastique. L'ensemble est informe, mais il vit.

Il serait assez curieux d'étudier comment l'on en est venu de l'art néo-grec de Rinuccini et de Chiabrera (2), aux pièces bour- souflées de Minato et d'Aureli. — Nicolo Minato, de Bergame, le plus populaire des librettistes vénitiens, est loin d'être le meilleur (3). Son succès est dû surtout à sa fécondité, et à son habileté à se plier aux circonstances.

La première génération des poètes vénitiens promettait davan- tage. Un art plus vivant que celui de Florence, plus personnel, et toutefois s'inspirant de ses principes de goût, s'annonce dans les œuvres de Benedetto Ferrari (4), le père de l'opéra de Venise. Poète maladroit, mais convaincu, il avait étudié l'art antique , et en retrouve quelquefois le sentiment dramatique. Il ne prêle pas à ses héros les mobiles des masques de la comédie italienne. La tristesse résignée de son Andromède (5), la puissance fatale de l'amour dans des cœurs qui voudraient et ne peuvent se révolter contre lui (Armide) (6), témoignent d'une certaine profondeur de sentiment.

Francesco Busenello (7) lui est encore supérieur. Poète de Mon-

��(1) A Vienne, la partie comique est confiée à un acteur spécial, le mu- sico regio, qui dit des chansonnettes, fait des imitations, etc. En Italie, c'est un servo ridicolo, sorte de clown, doué de quelque infirmité grotesque.

(2) Gabriello Chiabrera, né à Savone le 8 juin 1552, mort en 1637, un des meilleurs poètes de l'Italie au dix-septième siècle, le plus pénétré peut-être du sentiment antique. Voir p. 70 et 76.

(3) Il commence à écrire presque du temps de Chiabrera, et finit quand débute Apostolo Zeno, au dix- huitième siècle.

(4) Poète, imprésario et musicien.

(5) C'est la première œuvre jouée à Venise, au S. Cassiano, en 1637. Mu- sique de Francesco Manelli, de Tivoli (l'œuvre est dédiée à Marco Pisani). Voir pour Ferrari, Tiraboschi, Biblioteca Modenese, II, 265.

(6) L' Armide fut la seconde pièce jouée au SS. Giovanni e Paolo, en 1639. Poème et musique de Ferrari.

(7) Francesco Busenello , noble Vénitien, écrivit les poèmes de : Gli Amori d'Apollo e di Dafne, mus. de Cavalli, S. Cassiano, 1640. — La Didone, mus. de Cavalli, S. Cassiano, 1641. — L'Incoronazione di Poppea, mus. de Monteverde, S. Giov. et Paolo, 1642. — La Prospérité infelice di Giulio

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