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100 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

On aperçut trois nuages, faits avec tant d'art, qu'ils semblaient naturels. Au-dessous d'eux, les vagues se soulevaient et se dérou- laient. Une tête de femme surgit lentement. Avec des mouve- ments mesurés, elle s'éleva, el tandis que les sonneries de trom- pes s'éteignaient, elle aborda au rivage d'un îlot. Alors, sur l'accompagnement de l'orchestre placé derrière la scène, elle chanta une mélodie si touchante, que tout le public en fut saisi. »

L'orchestre derrière la scène; l'idée de l'instrumentation re- présentative d'un caractère (1); le sentiment de la puissance ex- pressive des timbres et de leurs ressources pour le drame (2); la recherche dès effets nouveaux de l'orchestre (3); l'abus même de certains procédés (4); mais surtout l'amour de la vie et l'intuition des âmes; le bonheur avec lequel ils excellent à peindre d'une touche rapide les caractères individuels (la coquetterie alanguie et l'insistance mutine de Poppée ; la morne désolation d'Ariane ; la grandiloquence philosophique de Sénèque; la pure et fîère ré- signation de Clorinde mourante; les gémissements amoureux d'Orphée, beau comme un marbre antique); — autant de traits communs (5) qui rapprochent le premier maître du drame lyrique, du dernier et du plus puissant.

Ils se ressemblent aussi par leur fierté méprisante, sûre d'elle- même, qui n'a pas un instant de doute sur l'excellence de leur art. « Et croyez que le compositeur moderne bâtit sur les fonde- ments de la vérité, et soyez tranquilles (6). » Elle ne les rend pas injustes pour les autres. Tous deux, avec une largeur d'esprit

��(1) Chaque personnage d'Orfeo marche avec un groupe d'instruments dif- férents, qui ne le quittent pas : Orphée, la harpe; Pluton, les trombones, etc.

(?) Tandis que Doni, le grand théoricien florentin, écrit : « Tengasi per fermo, che quanto minore numéro d'instrumenti si metterà in opéra, tanto meno diffettosi saranno i concenti. » (II, 111), — idée d'Artusi et du cénacle de Bardi.

(3) Le grand air d'Orfeo est précédé d'une ritournelle à cinq trombones. Il est composé de 5 strophes, dont chacune est soutenue par une instrumenta- tion différente : la première par deux violons, la seconde par deux cor- netti, la troisième par une harpe, la quatrième par deux violons et un violoncelle, la cinquième par les tenues d'un quatuor d'instruments à archets..., etc.

(4) Par exemple, le trémolo. Voir Combatlimento di Tancredo. Cf. second acte de Lohengrin.

(5) Il va de soi qu'il reste entre l'un et l'autre, la distance du dix-sep- tième au dix-neuvième siècle, et d'une langue sobre, simple et abstraite, à une langue raffinée et précise jusqu'à la subtilité.

(6) « Et credete che il moderno compositore fabrica sopra li fondamenti dclla venta, et vivetc felici. » (Préf. des Scherzi.)

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