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L’ŒUVRE DES TRENTE ANS DE THÉÂTRE

Maurice Pottecher, qu’on peut aller jusqu’à éprouver un peu d’ennui d’une belle œuvre, sans cesser de la tenir pour admirable et d’en sentir la perfection. L’enthousiasme suscité par Eschyle, par Aristophane, par Dante, par Shakespeare, n’a presque rien à voir avec le plaisir sentimental que nous procure une œuvre capable de nous attendrir et de nous divertir jusqu’aux larmes, dans le moment que nous l’écoutons. À ce compte, un vaudeville réussi ou un bon mélodrame serait donc supérieur aux Guêpes ou à Hamlet ? »[1] — Hélas ! il a du moins sur ces chefs-d’œuvre l’inappréciable avantage d’être aujourd’hui vivant. Nulle beauté, nulle grandeur, ne saurait tenir lieu de la jeunesse et de la vie. Au lieu de dédaigner la vie et de la laisser livrée à d’indignes artistes, tâchez d’aller à elle ; mais n’espérez pas l’attirer vers ces sommets lointains, où s’élèvent, à l’abri du présent, au-dessus de l’action, les beaux temples du passé. Osons le dire : votre art désintéressé est un art de vieillards. Il est bien, il est naturel que nous aspirions pour la fin de notre vie, quand nous aurons accompli notre tâche et pris largement notre part de l’action commune, à l’art désintéressé, à la sérénité de Goethe, à la pure beauté. C’est l’idéal suprême et le terme du voyage. Mais je plains l’homme, ou le peuple, qui y arriverait trop tôt, sans l’avoir mérité. Il ne la sentirait pas, et cette sérénité ne serait chez lui que l’apathie de la mort. La vie, c’est le renouveau constant, c’est la lutte. Mieux vaut cette lutte avec toutes ses souffrances, que votre belle mort.

  1. Revue d’art dramatique, 15 mars 1903.
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