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le théâtre du passé

Mais admettons que, public et représentations, tout soit populaire, comme il doit être. Combien avez-vous donné de représentations ? Que prouvent ces quelques essais ? Vous vous hâtez trop de triompher. Souvenez-vous des Universités populaires. On y a chanté victoire. Maintenant la plupart sont vides. Vous ne savez pas observer le peuple. Pourvu qu’il vous applaudisse, vous ne lui en demandez pas plus, et vous ne vous inquiétez pas de ce qu’il pense. Le peuple est respectueux, et il vous fait crédit ; mais ni ce crédit, ni son respect ne sont indestructibles. Il vous épie, et il vous juge. Il y a trois ans, aux lectures des Universités populaires, où je me mêlais parfois au public alors très nombreux, je disais aux organisateurs : « Prenez garde. Ils s’ennuient. » On me répondait : « Ils applaudissent. » On eût presque ajouté : « Qu’ils s’ennuient, pourvu qu’ils applaudissent ! » À présent, ils ne viennent plus. Et je le répète aujourd’hui : « Prenez garde. Ils applaudissent ; mais ils se sont ennuyés. Ils sont venus pour voir. Quand ils seront venus deux fois, trois fois, dix fois, et qu’ils auront bien vu ce que sont vos classiques, votre poignée de classiques, ils ne reviendront plus. » — Je ferais de même. — Je fais de même. Certes j’admire les grands classiques, et du meilleur de mon esprit. Mais qu’ont-ils à faire avec ma vie présente, mes soucis, mes rêves, mon combat journalier ? Comme disait tout à l’heure M. Faguet, « admirable et intéressant sont deux choses extrêmement différentes ». Cette différence, les partisans sincères des antiques ne la nient pas ; mais bravement, ils disent qu’après tout l’intérêt n’est pas essentiel à l’œuvre d’art. « Je dirais, écrit

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