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le théâtre du passé

le public était moins populaire encore, s’il est possible, qu’à la soirée du Misanthrope. Nombre de spectateurs en habit, aux fauteuils et aux loges ; et pas un ouvrier. — Cela n’empêcha point le conférencier, M. Auguste Dorchain, de s’adresser à son auditoire distingué, comme à une assemblée de rudes travailleurs, qui ont peiné tout le jour sur leur dure tâche. Et cela n’empêcha point l’auditoire distingué, — dames élégantes et messieurs en habit, — de prendre le compliment pour eux, et de l’applaudir, ravis. — Qui trompe-t-on ici ?

Dans de telles conditions, il est clair que les organisateurs de l’Œuvre des Trente ans de Théâtre pouvaient risquer sans inquiétude le paradoxe étrange de donner en « gala populaire » l’œuvre la plus aristocratique de Racine, une pièce qui semble écrite pour l’éducation des princes, et que les souverains de l’Europe actuelle, — en Saxe, en Serbie, ou ailleurs, — ne feraient assurément pas mal de faire jouer devant leurs fils, — « Pour mes fils, quand ils auront vingt ans », — ou même de méditer pour leur propre compte, — mais dont le peuple n’a rien à faire. — Il faut ajouter qu’on avait pris soin de dorer la pilule, en enveloppant la tragédie entre deux larges tranches de chansons niaises ou égrillardes, et que le triomphateur de la soirée fut, — avec madame Bartet, — M. Polin.[1]

  1. Programme de la soirée :
    1. Chansons de madame Anna Thibaud et de M. Cooper.
    2. Bérénice, de Racine, par la Comédie française.
    3. Chansons, par M. Polin.

    On remarque je ne parle que des représentations littéraires. Des représentations musicales, j’aurais trop à dire. Au moins la Comédie française et l’Odéon, auxquels s’adresse l’Œuvre des Trente ans de Théâtre, ont-ils un répertoire de chefs-d’œuvre. Mais le répertoire musical de nos théâtres subventionnés est

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