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III

LE DRAME ROMANTIQUE


Pour le Drame romantique, la question est tout autre. Il ne s’agit pas d’en faciliter l’accès au peuple, mais bien plutôt d’en préserver le peuple, si celui-ci avait tendance, comme je crois, à se laisser séduire par lui. — On n’a plus aucun mérite à le dire : le drame romantique n’est qu’une forme du mélodrame ; et toute la poésie verbale dont il est revêtu ne fait qu’augmenter ses dangers.[1] C’est une peau de lion jetée sur la niaiserie ou la bassesse. Avec ses superbes prétentions de donner la clef de l’universelle énigme, de peindre le monde entier et de l’expliquer, « de regarder tout, à la fois, sous toutes ses faces », comme l’annonce naïvement la préface de Marie Tudor, ce drame se contente à fort bon marché. En fait d’observation, il s’en tient à des abstractions de tragédie voltairienne, qu’il affuble des oripeaux d’une érudition d’autant plus minutieuse qu’elle est moins sûre. En fait de pensée, c’est un arlequin bigarré d’idéologies contradictoires où le ton dominant est un naturisme assez plat, venu des Encyclopédistes, sur lequel les

  1. Il va de soi qu’on ne parle ici ni de l’admirable théâtre de Musset, rêve d’aristocratique adolescent, ni des quelques drames d’Alfred de Vigny, d’ailleurs inférieurs à leur renommée, froids et antipopulaires. Quant à Hugo, il est juste de reconnaître qu’il n’a tenu qu’a lui de faire un théâtre hautement populaire, comme il fit un roman et un pamphlet puissamment populaires, malgré tous leurs défauts. Mais au temps où il écrivit ses grands drames, il n’y avait rien de démocratique en lui.
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