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MOLIÈRE

sentimentales de Musset ; — mais jamais l’énormité de la farce ne me parut si énorme, non seulement parce que certains acteurs avaient cru devoir outrer encore leur comique naturellement outré, mais parce que brusquement on remarquait, en la voyant au grand jour, quelle part de convention classique se cache dans cette pitrerie de génie. On y est habitué à la Comédie française ; on n’y prend plus garde. Mais le peuple l’ignore, et il en est surpris. Plus d’une fois, j’ai senti chez mes voisins cette gêne que j’ai souvent observée dans le public des universités populaires : le soupçon que leurs amuseurs bourgeois ne les traitassent en enfants, qu’ils ne voulussent se mettre à leur portée. Cette crainte gâtait leur plaisir, — plaisir réel d’ailleurs ; car qui peut résister au rire de Molière ?

Au reste, si le peuple ne goûtait dans le répertoire de Molière que la bouffonnerie, l’avantage serait médiocre ; il apprendrait peut-être une meilleure langue, mais son intelligence ni son cœur n’y gagneraient guère. Et je crains que ce ne soit le cas jusqu’à présent : les chefs-d’œuvre classiques de Molière le laissent assez froid ; je l’ai vu s’ennuyer poliment au Misanthrope, admirable psychologie de salon, ou aux Femmes savantes, où la comédie emprunte à la tragédie sa dignité d’allure et son noble maintien. Je sais qu’on a fait à Tartuffe, lors de sa représentation en novembre 1902, à Ba-ta-clan, un succès retentissant ; mais ce succès ne s’adressait pas à Molière ; il s’adressait à M. Combes, ou à son porte-parole, le journaliste anticlérical, qui crut bon de faire intervenir la pièce dans l’affaire des Congrégations, et « dénonça dans Tartuffe l’éternel ennemi, concluant que la guerre devait conti-

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