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Depuis que les pages précédentes sont écrites, nous avons pu suivre les premiers essais des Théâtres populaires de Belleville et de Clichy. Le Théâtre Populaire de Belleville, qui en est à son quatrième mois d’existence, est très vivant. Parfaitement situé, au milieu d’une des populations ouvrières de Paris les plus denses et de l’esprit le plus éveillé, il a dès à présent son public, et même sa clientèle populaire, qui suit assidûment ses pièces. L’élément ouvrier y tient une grande place. J’ai eu l’occasion d’observer plusieurs fois ce public, aussi bien à des représentations de Sardou, qu’à des premières de Jean Jullien. J’ai été frappé de l’attention et du sérieux avec lesquels il suit les œuvres, exprimant souvent ses impressions tout haut, donnant raison à tel personnage, ne cachant pas son antipathie pour tel autre, prêt à applaudir et à huer tour à tour. On m’a dit que lorsqu’on lui joua Danton, il apostrophait vertement les personnages de la Révolution qui ne lui plaisaient pas : les Vadier, les Fouquier-Tinville. À la représentation de Madame Sans-Gêne, à laquelle j’ai assisté, j’ai vu l’instant où il allait siffler Napoléon, parce que Napoléon reprochait à l’héroïne d’avoir été blanchisseuse. Il prend parti toujours et partout ; il ne saurait rester indifférent. Ce public populaire de Belleville est doué d’une intelligence vive ; c’est en somme, parmi le peuple de France, une sorte de petite aristocratie populaire. Remarquez à une de ses représentations, à une de ses matinées du dimanche, ces figures de jeunes gens, de jeunes filles, aux traits fins, au teint pâle, souvent diaphane, presque tous étiolés par

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