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TEXTES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

qu’il eût fallu faire recevoir : ce qui plaît prend à leurs yeux le caractère de l’utile.

De là encore la corruption du goût, l’avilissement de l’art ; tandis que le génie médite et jette en bronze, la médiocrité, tapie sous l’égide de la liberté, ravit en son nom le triomphe d’un moment, et cueille sans effort les fleurs d’un succès éphémère.

Ces réflexions s’appliquent naturellement à quelques pièces de théâtre présentées à l’examen de la Commission sous le titre de Fête à l’Être Suprême.

Les nommer, c’est en faire l’analyse : elles offrent le grand, le sublime tableau du 20 prairial, rétréci dans les proportions de la scène qui les attend.

L’on doit rendre justice au fond de l’ouvrage : l’intention en est pure.

Mais n’en est-il point de ces fêtes en miniature, de ces rassemblements de théâtre, comme de ces groupes d’enfants qui embarrassent un instant le détour d’une rue et se croient une armée ? Que diriez-vous si l’on vous montrait les batailles d’Alexandre dans une lanterne magique, ou le plafond d’Hercule sur une bonbonnière ?

Quand un auteur me présente la France sur quelques planches, la nature en raccourci ; quand je vois sortir d’une douzaine de coulisses un peuple immense, dont un champ vaste contient à peine la majesté, qui ne se rassemble que sous la voûte du ciel, je crois retrouver le génie welche de ce financier, qui faisait couper ses livres pour les ajuster à ses tablettes d’acajou, on le génie barbare de Procuste,[1] qui mutilait des corps vivants pour les réduire aux proportions de son lit de fer.

Quelle scène enfin, avec ses rochers, ses arbres de carton, son ciel de guenilles, prétend égaler la magnificence du 20 prairial, ou en effacer la mémoire ?

Ces tambours, cette musique, l’airain mugissant, ces cris de joie élancés jusqu’aux cieux, ces flots d’un peuple de frères, ces vastes flots dont le balancement doux et ma-

  1. Le premier texte, ensuite corrigé, dit : « de Busiris ».
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