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au delà du théâtre

les choses vivre et mourir comme nous, autour de nous, sans vouloir immortaliser les choses mortelles, et sans attacher l’avenir au cadavre des siècles morts. Ce qui a été, a été ; et nous cherchons en vain à en réchauffer l’ombre. Les œuvres meurent comme les hommes. Œuvres écrites ou œuvres peintes, tragédie de Racine ou campanile San Marco, elles s’effritent et croulent. Même ce qui dure le plus : les génies, disparaissent. Ils pâlissent peu à peu. Ce sont comme de grands mondes, qui dans la nuit de l’Espace se refroidissent et s’éteignent. Il est vain de le déplorer et plus vain de le nier. Pourquoi Dante et Shakespeare même échapperaient-ils à la loi commune ? Pourquoi ne mourraient-ils pas comme de simples hommes ? Ce qui importe, ce n’est pas ce qui fut, c’est ce qui sera ; ce n’est pas que la mort s’arrête, mais que la vie éternellement renaisse. Et vive la mort, si elle est nécessaire à fonder la vie nouvelle ! Loin de la retarder, hâtons-la plutôt. Puisse l’art populaire s’élever sur les ruines du passé !

Mais pour que cet art populaire triomphe, ce n’est pas assez des seuls efforts de l’art. — « Un jour, » raconte Mazzini, — il était tout jeune encore, et voulait se consacrer aux lettres, — « un jour, je pensai que pour qu’il y eût un art, il fallait qu’il y eût un peuple ; et l’Italie d’alors n’en était pas un. Sans patrie et sans liberté, nous ne pouvions pas avoir d’art. Il fallait donc se vouer d’abord au problème : Aurons-nous une patrie ? et tâcher de la créer. Ensuite, l’art italien fleurirait sur nos tombes. » — À notre tour, nous disons : Vous voulez un art du peuple ? Commencez par avoir un peuple, un peuple qui ait l’esprit assez libre pour

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