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CONCLUSION

ment les artistes ; « et le terme du théâtre et de l’art populaire est-il l’anéantissement du théâtre et de l’art ? » — Peut-être. Mais qu’ils se tranquillisent : c’est là un idéal, où il est douteux que nous arrivions jamais, car il supposerait un bonheur dans la vie, que nous ne pouvons nous flatter d’atteindre. Le plus grand des artistes de notre temps, Wagner, n’a pas craint de dire avec une amère franchise, que « si nous avions la vie, nous n’aurions pas besoin d’art. L’art commence exactement au point où finit la vie. Quand elle ne nous offre plus rien, nous crions par l’œuvre d’art : « Je voudrais ! » Je ne comprends pas comment un homme vraiment heureux peut avoir l’idée de faire de l’art… L’art est un aveu de notre impuissance… L’art n’est qu’un désir… Pour ravoir ma jeunesse, ma santé, pour jouir de la nature, pour une femme qui m’aimerait sans réserve, pour de beaux enfants, je donne tout mon art ! Le voilà ! donne-moi le reste. »[1] — Si seulement nous arrivions à donner un peu de « ce reste » aux malheureux, à mettre un peu de joie dans la vie, et que ce fût aux dépens de l’art, nous ne le regretterions pas.

Je sais de quels liens le cœur est enlacé par le charme du passé. Mais faut-il s’hypnotiser dans la contemplation vaine de la beauté qui fut, et dans l’effort inutile pour la ressusciter ? Ne soyez pas si timorés. Ne tremblez pas autour de vos Louvres et de vos bibliothèques, dans la crainte de les perdre. Regardez moins derrière vous, et davantage devant. Tout passe. Qu’importe ? Ayons le courage de vivre et de mourir, et de laisser

  1. Lettres à Uhlig.
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