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au delà du théâtre

Un théâtre avait imaginé de donner, dès le 22 prairial, — 10 juin, — des représentations de la Fête de l’Être Suprême. Le haut idéalisme des grands Conventionnels en fut blessé. Les 11 et 13 messidor, — 20 juin et premier juillet, — la commission d’Instruction publique, et le comité de Salut public prirent un arrêté interdisant aux théâtres cette profanation. On retrouve dans les termes de l’arrêt les hautaines idées de Rousseau sur l’infériorité du Théâtre, comparé aux Fêtes du peuple :

Il en est de ces fêtes en miniature, de ces rassemblements de théâtre, comme de ces groupes d’enfants qui embarrassent un instant le détour d’une rue et se croient une armée. Que diriez-vous si l’on vous montrait les batailles d’Alexandre dans une lanterne magique, ou le plafond d’Hercule sur une bonbonnière ? — Quand un auteur me présente la France sur quelques planches, la nature en raccourci ; quand je vois sortir d’une douzaine de coulisses un peuple immense, dont un champ vaste contient à peine la majesté, qui ne se rassemble que sous la voûte du ciel, je crois retrouver le génie barbare de Procuste, qui mutilait des corps vivants pour les réduire aux proportions de son lit de fer… Le premier qui imagina de faire jouer de telles fêtes, dégrada leur majesté, détruisit leur effet… Les fêtes du peuple sont générales, et ne se célèbrent qu’en masse.

Ces mots n’étaient pas des mots. Les hommes de ce temps avaient vu les plus belles des fêtes, les fêtes que le peuple de France se donna à lui-même : ces sublimes Fédérations, qui ont inspiré à Michelet des pages immortelles :

Bonheur singulier, trop grand pour un homme ! j’ai tenu un moment dans mes mains le cœur ouvert de la France, sur l’autel des Fédérations ; je le voyais, ce cœur héroïque, battre au premier rayon de la foi de l’avenir !… Personne
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