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DRAME SOCIAL

quand l’époque est troublée, et que la nation combat, c’est le devoir de l’art de combattre à ses côtés, de l’enflammer, de la guider, d’écarter les ténèbres et d’écraser les préjugés qui lui barrent le chemin. J’entends gémir sur les violences auxquelles l’art entraînera fatalement, et sera entraîné sur cette voie. Ces violences ne tiennent point à lui, mais aux iniquités, auxquelles la conscience de l’humanité se heurte, et qu’il faut qu’elle brise. L’art n’a pas pour objet de supprimer la lutte, mais de centupler la vie, de la rendre plus forte, plus grande et meilleure. Il est l’ennemi de tout ce qui est l’ennemi de la vie. Et si l’amour et l’union est son but, la haine peut être, à certains jours, son arme. « La haine est bonne, disait un ouvrier du faubourg Saint-Antoine à un conférencier qui s’évertuait à lui prêcher que toute haine est mauvaise ; la haine est juste ; c’est elle qui soulève les opprimés contre l’oppresseur. Quand je vois un homme en pressurer d’autres, cela me révolte, je le hais, et je sens que j’ai raison. » Qui ne hait pas bien le mal, n’aime pas bien le bien. Et qui peut voir l’injustice sans tenter de la combattre, n’est ni tout à fait un artiste, ni tout à fait un homme. Le plus doux des poètes, celui qui eut de son art l’idée la plus sereine, Schiller, n’a pas craint de le lancer dans la mêlée, et « de se proposer pour but d’attaquer les vices, et de venger de leurs ennemis la religion, la morale, et les lois sociales ».[1] Au reste, il ne s’agit pas pour l’art d’opposer le mal au mal, mais la lumière. Le mal que l’on voit en face, et qui sait qu’on le voit, est plus qu’à

  1. Préface des Brigands. 1781.
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