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L’ÉPOPÉE HISTORIQUE

lien du sang, des épreuves et des pensées fraternelles. Elle assied la personnalité individuelle sur une existence séculaire, d’une solidité à toute épreuve. Il ne s’agit point de réveiller le fanatisme chauvin, mais la solidarité fraternelle de tous les hommes d’un même peuple. Que chacun sente les liens qui l’attachent à la communauté, que sa vie s’enrichisse de toutes les vies antérieures, présentes et futures de sa nation. Dans une telle conscience, il trouvera des raisons plus vigoureuses d’agir, d’être ce qu’il est.[1] L’esprit qui s’élève sur les siècles s’élève pour des siècles. Pour faire des âmes fortes, nourrissons-les de la force du monde.

Le monde : — car la nation n’y suffit pas. — Déjà, il y a 120 ans, le libre Schiller disait : « J’écris comme citoyen du monde. De bonne heure, j’ai perdu ma patrie pour l’échanger contre le genre humain. »[2] Déjà, il y a près d’un siècle, Goethe au regard serein disait : « La littérature nationale, cela n’a plus grand sens aujourd’hui : le temps de la littérature universelle (die Weltlitteratur) est venu, et chacun doit aujourd’hui travailler à hâter ce temps. »[3] Et il ajoutait : « Si je ne

  1. « L’histoire est au peuple ce que la faculté du souvenir est aux individus, le lien d’unité et de continuité entre notre être d’hier et notre être d’aujourd’hui, la base en nous de toute expérience, et, par l’expérience, le moyen de tout perfectionnement. »
    Lamartine (1864)
  2. 1783.
  3. Goethe à Eckermann. 31 janvier 1827.

    Ailleurs : « Ampère a placé son esprit si haut qu’il a bien loin au-dessous de lui tous les préjugés nationaux ; par l’esprit, c’est bien plutôt un citoyen du monde qu’un citoyen de Paris. Je vois venir le temps où il y aura en France des milliers d’hommes qui penseront comme lui. » (4 mai 1827)

    « Il est évident que, depuis longtemps déjà, c’est en ayant devant les yeux l’ensemble de l’humanité, que travaillent les meilleurs génies de toutes les nations. Dans toutes les œuvres, toujours on

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