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le théâtre nouveau

le courant, les critiques beaux-esprits, qui aiment à faire sentir qu’ils ne sont dupes de rien, ont eu soin de remarquer qu’Œdipe Roi, au fond, était un mélodrame, — avec un secret orgueil, sans doute, au fond d’eux-mêmes, de l’infériorité de Sophocle comparé aux maîtres du théâtre contemporain. Ils ne se trompent pas. Œdipe Roi est un mélodrame, et des plus noirs qui soient. L’Orestie en est un autre, dont d’Ennery eût rougi d’égaler la naïve horreur.

Au temps de la reine Élisabeth, en Angleterre, le théâtre était populaire. Quel était ce théâtre ? — Il arrive de temps en temps que l’on rejoue chez nous certaines pièces de Shakespeare. La critique, qui ne saurait jamais trop louer le jeu merveilleux des artistes, le goût exquis des décors, l’habile mise en scène, la délicieuse musique, et l’admirable traduction, — il lui arrive parfois de reconnaître à Shakespeare des beautés qui sont de l’invention des traducteurs, — la critique, du moins dans ses moments d’indépendance, laisse parfois entendre que Shakespeare est bien heureux d’avoir pour lui tant d’éléments de succès étrangers à son œuvre, sans parler du plus puissant de tous : le prestige du temps. Elle insinue que le Songe d’une nuit d’été est une farce foraine, et Macbeth un mélo, avec des spectres ridicules et barbouillés de sang, des remords, des hallucinations, et toute la machinerie de la conscience, telle qu’on la figure à l’Ambigu. Les gens de goût ne peuvent s’empêcher de sourire au massacre final d’Hamlet ; et il est heureux qu’on ait jusqu’à présent épargné à leur délicatesse le spectacle des frénésies du roi Lear, et de Cornouailles piétinant les yeux de Glocester.

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