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le théâtre nouveau

Un art monumental, fait pour un peuple, par un peuple.[1]

Par un peuple ! — Oui, car il n’est de grande œuvre populaire, que celle où l’âme du poète collabore avec

    l’action, un grossissement du dialogue, qui n’exclut pas d’ailleurs les saillies, mais qui les veut franches et nettes : peu de mots, peu de gestes, mais très expressifs ; une concentration vigoureuse de la passion, de l’action et du style.

    3. — La musique est très utile, — au second plan. — Elle doit être le fond de la fresque, le support de l’action, l’atmosphère du drame. Il faut qu’elle imprègne chaque scène du coloris qui lui convient, et qu’elle n’attire jamais l’attention à elle, qu’elle se sacrifie au drame. Il faut, en un mot, qu’elle soit à la fois intelligente et désintéressée… (Mais je demande l’impossible.)

    4. — Un théâtre de ce genre appelle nécessairement de puissants effets de fresque. Les foules y sont employées, comme les individus sur les anciens théâtres. Il faut y établir des dialogues de groupes, des doubles et triples chœurs, — en se gardant toutefois de revenir à l’archaïsme antique, comme Schiller dans sa Fiancée de Messine : on doit conserver à l’intérieur de chaque groupe une grande liberté de mouvements. — Aux intrigues individuelles seront ainsi peu à peu substitués les conflits de masses. — De grandes lignes. De vigoureuses oppositions dramatiques. De larges effets d’ombre et de lumière. On ne peut dire l’imposante et tragique impression que produit, dans de tels spectacles, un effet de silence absolu, succédant au tumulte. Les Grecs l’avaient bien senti. L’instinct des paysans suisses le leur a fait retrouver.

    5. — Dès à présent, on voit se dégager des essais de cet art dramatique monumental, des principes d’un art dramatique nouveau : en particulier celui de la Double action, entrevu par Diderot. — Voir plus haut, page 70. — Les vastes étendues de ces théâtres de Suisse ou de Bavière (Ober Ammergau), permettent de présenter simultanément, sur des plans différents, des épisodes différents, on peut même dire : des moments différents de la même action. Ici, la Vierge en pleurs cherche son fils, tandis que par une autre rue de Jérusalem le Christ s’achemine au supplice. Là. César monte au Capitole, tandis qu’à l’intérieur du palais les conjurés se préparent et s’agitent. Ce sont, vues à la fois, les faces différentes d’un même instant de crise, l’envers et l’endroit d’un même fait. Et c’est, en même temps qu’un prodigieux enrichissement du drame, un effet d’une angoisse tragique, produit par la vue du Destin qui s’achemine vers l’homme inconscient de sa présence, et qui ne voit pas venir la catastrophe fatale.

  1. Par un peuple ? — Je ne veux pas dire que le peuple doive nécessairement prendre part à l’action, et que ces drames populaires doivent être joués par des acteurs populaires. — Ceci est une
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