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le théâtre nouveau

nulle société bien organisée ne devrait tolérer, et dont l’art n’a que faire. Je n’ai besoin pour le théâtre du peuple que d’une vaste salle, ou de manège, comme la salle Huyghens, ou de réunions publiques, comme la salle Wagram, — de préférence, d’une salle disposée en pente, de façon que tous puissent bien voir : et dans le fond. — ou au milieu, si c’est un cirque, — une haute et large estrade nue.

Il n’y a, en somme, qu’une condition nécessaire, à mon sens, pour le théâtre nouveau : c’est que la scène, comme la salle, puisse s’ouvrir à des foules, contenir un peuple et les actions d’un peuple.[1] De cette condition, tout le reste découle. Il faut évidemment que les pièces représentées devant plusieurs milliers de spectateurs soient adaptées à l’optique et à l’acoustique spéciales de ces vastes étendues.

  1. Il y aurait lieu d’étudier les représentations populaires de la Suisse. Plusieurs de leurs dispositions pourraient être reprises utilement : en particulier, ce qu’on nomme là-bas le « chemin des cortèges ». C’est un long ruban de route sinueuse, qui, partant d’une vaste porte ménagée à droite et à gauche de la scène, — et en dehors de la scène, — passe devant la scène, et en dehors du rideau. C’est par là qu’arrivent les armées, les combats, les charges de cavalerie. Ainsi peuvent s’exécuter, sans confusion, des mouvements de foule tumultueuse ; et cette disposition ajoute beaucoup à l’illusion réaliste du spectacle. Dans les représentations en plein air de la Suisse, le chemin des cortèges part souvent de la pleine campagne, des prairies, des bois qui entourent la scène. — Les Suisses usent des décors, même dans leurs spectacles en plein air. Je ne saurais les en louer. Ce mélange du décor peint et du décor naturel me semble très choquant. Je sais que Maurice Pottecher en est partisan, et croit qu’on peut produire ainsi d’heureuses combinaisons. Peut-être y arrivera-t-on, mais avec un art du décor tout nouveau, avec des architectures véritables, avec une optique nouvelle de la scène en plein air. Jusqu’à présent, les résultats m’ont semblé barbares ; et rien ne vaut l’harmonie de l’horizon naturel, des prairies, des collines lointaines, encadrées entre deux murs, deux tours, — comme en certains Festspiele suisses : à Aarau par exemple, — qui limitent l’espace réservé à l’action.
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