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CONDITIONS MATÉRIELLES ET MORALES

der autour de soi. C’est là, à ce qu’il me semble, la troisième condition du théâtre populaire :

Le théâtre doit être une lumière pour l’intelligence. Il doit contribuer à répandre le jour dans ce terrible cerveau humain, plein d’ombres, plein de replis, plein de monstres. Tout à l’heure nous avons mis en garde contre la tendance des artistes à croire toutes leurs pensées bonnes pour le peuple. Il ne s’agit pas, pour cela, de lui éviter ce qui fait penser. La pensée de l’ouvrier est d’ordinaire au repos, tandis que son corps travaille ; il est utile de l’exercer, et pour peu qu’on sache s’y prendre, ce peut être même un vif plaisir pour lui, comme c’est un plaisir pour tout homme robuste de rompre à de rudes exercices ses membres engourdis par une longue immobilité. Qu’on lui apprenne donc à voir clairement et à juger les choses, les hommes et surtout lui-même.

La joie, la force et l’intelligence : voilà les trois conditions capitales d’un théâtre populaire. Tout le reste en découle. Quant aux intentions morales qu’on veut y joindre, aux leçons de bonté, de solidarité sociale, qu’on ne s’en embarrasse point. Le seul fait d’un théâtre permanent, de hautes émotions communes et répétées, crée, — pour un temps, — un lien fraternel entre les spectateurs. Et au lieu de bonté, donnez-nous seulement plus de raison, plus de bonheur et plus d’énergie : la bonté, nous nous en chargeons. Le monde est plus sot que méchant, et méchant surtout par sottise. La grande tâche est de faire entrer le plus d’air, le plus de clarté, le plus d’ordre possible dans le chaos de l’âme. Mais c’est assez de la mettre en état de penser et d’agir : ne pensons pas, n’agissons pas

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