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le théâtre nouveau

ment de ses peines. C’est trop de prétendre, après une vie triste, le divertir avec le spectacle d’une vie triste. Si quelques rares esprits se plaisent à « sucer la mélancolie, comme la belette suce l’œuf », on ne peut exiger du peuple le stoïcisme intellectuel des aristocrates. Il aime les spectacles violents, mais à condition que ces violences n’écrasent point, une fois de plus, au théâtre comme dans la vie, les héros avec qui il s’identifie. Si résigné ou découragé qu’il soit pour son propre compte, il est d’un optimisme exigeant pour le compte de ses personnages de rêve ; il souffre d’un dénouement lugubre. — Est-ce à dire qu’il lui faille nécessairement le mélodrame larmoyant, qui finit bien ? — Évidemment non. Ce grossier et mensonger spectacle est un soporifique et un stupéfiant, qui contribue, comme l’alcool, à maintenir le peuple dans l’inertie. Le pouvoir de délassement, que nous voulons attribuer à l’art, ne doit pas s’exercer au détriment de l’énergie morale. Bien au contraire.

Que le théâtre soit une source d’énergie : c’est la seconde loi. Le devoir d’éviter ce qui écrase et déprime est tout négatif ; il a une contre-partie nécessaire : soutenir et exalter l’âme. Qu’en délassant le peuple, le théâtre le rende plus propre à agir le lendemain. Des êtres simples et sains n’ont, d’ailleurs, pas de joie complète sans l’action. Que le théâtre soit donc un bain d’action joyeuse. Que le peuple trouve dans son poète un bon compagnon de route, alerte, jovial, au besoin héroïque, au bras duquel il s’appuie, et dont la belle humeur lui fasse oublier les fatigues du chemin. Le devoir de ces compagnons poétiques est de le mener droit au but, — et de lui apprendre aussi, chemin faisant, à bien regar-

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