Page:Rolland Clerambault.djvu/341

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et déjà elle les réalise. Le seul fait qu’un homme a été Christ, a exalté, soulevé au-dessus de la terre, des siècles d’humanité et a versé en eux des énergies divines. Et bien que dix-neuf siècles se soient écoulés depuis, les millions d’hommes n’ont jamais atteint à la hauteur du modèle, mais ne se lassent pas d’y aspirer. — L’idéal individualiste ainsi compris est plus fécond pour la société humaine que l’idéal communiste, qui conduit à la perfection mécanique de la fourmilière. A tout le moins, est-il indispensable à l’autre, comme correctif et comme complémentaire.

Ce fier individualisme, que Froment exprimait en paroles brûlantes, affermissait l’esprit toujours un peu chancelant de Clerambault, indécis par bonté, doute de soi, et effort pour comprendre les autres.

Froment lui rendit encore un autre service. Plus instruit que lui de la pensée mondiale, ayant, par sa famille, des relations parmi les intellectuels de tous les pays, et lisant quatre ou cinq langues étrangères, Froment révéla à Clerambault les autres grands isolés qui, dans chaque nation, combattaient pour les droits de la conscience libre, — tout ce travail souterrain de la pensée comprimée, qui s’acharnait à chercher la vérité. Spectacle bien consolant : que l’époque de la plus effroyable tyrannie morale qui ait pesé, depuis l’Inquisition, sur l’âme de l’humanité, ait échoué à étouffer dans une élite de chaque peuple l’indomptable volonté de rester libre et vrai !

Certes, ces individualités indépendantes étaient rares, mais leur pouvoir en était d’autant plus grand.