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pareille aux pures ombres Orphiques, dont les tablettes d’or nous ont transmis la voix mourante, « l’âme enfuie du cercle des douleurs » se présente seule et nue « à la fontaine glacée qui sort du lac de Mémoire ».

C’est le miracle de la Résurrection. Celui qui vient de laisser sa dépouille mortelle et pense avoir tout perdu, découvre que d’aujourd’hui il entre dans son vrai bien. Non seulement soi-même et les autres lui sont rendus ; mais il voit que jusqu’alors il ne les avait jamais eus. Dehors, dans la cohue, comment pourrait-il voir par-dessus les têtes de ceux qui l’enserrent ? Et les plus proches mêmes qui, pressés contre sa poitrine, l’entraînent, il ne lui est pas possible de les regarder longuement dans les yeux. Le temps manque et le recul. On ne sent que les heurts des corps qui s’écrasent, dans leur commun destin étroitement coincés, et que charrie le torrent vaseux de la vie multitudinaire. Son fils, Clerambault ne l’a vu qu’après qu’il était mort. Et l’heure fugitive où lui et sa fille se sont reconnus était celle où les liens de l’illusion maléfique venaient d’être dénoués par l’excès de la douleur.

Or, voici qu’à présent où il s’était, dans la solitude, par la voie d’éliminations successives, retranché (eût-on dit) des passions des vivants, il les retrouvait tous dans une intimité lucide. Tous, non seulement les siens, sa femme, ses enfants, mais tous ces millions d’êtres qu’il avait cru faussement jusqu’alors embrasser, dans un amour oratoire. Ils venaient tous se peindre au fond de la chambre noire. Sur la sombre