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était, à leur première rencontre, quand ils avaient l’un et l’autre dix-sept ans. Leurs longues veillées ensemble, les chères confidences, les discussions, les rêves… En ce temps, Bertin aussi rêvait ! Même son sens pratique, sa précoce ironie, ne le défendaient pas des espoirs impossibles, des généreux projets de rénovation humaine. Ah ! que l’avenir était beau à leurs regards d’enfants ! Et comme à ces visions, en des minutes ravies, leurs deux cœurs se fondaient d’amoureuse amitié !

Et voilà ce que la vie avait fait de tous deux ! Cette lutte haineuse, cet acharnement insensé de Bertin à piétiner ses rêves de jadis et l’ami qui les gardait ! Et lui, lui, Clerambault, qui s’était laissé prendre au même courant meurtrier, cherchant à rendre coup pour coup, à faire saigner l’adversaire… Et qui, au premier moment, en apprenant la mort de l’ancien ami — (il eut horreur de se l’avouer) — en avait éprouvé un sentiment de soulagement !… Mais qu’est-ce qui nous tient donc ? Quel vertige de méchanceté, qui se retourne contre nous !…

Absorbé dans ses pensées, il s’était égaré. Il s’aperçut qu’il allait dans la direction opposée à sa maison. Dans le ciel sillonné par les antennes des projecteurs, on entendait d’énormes explosions : les zeppelins sur la ville, les grondements des forts, un combat aérien. Ces peuples enragés qui se déchirent… pour quel but ? — Pour en arriver tous où en était Bertin. Au néant qui attendait également tous ces hommes, et toutes ces patries… Et ces autres, révoltés, qui discutent