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— Il ne faut pas le lui troubler, dit Clerambault. Aidez Gillot, il a besoin de vous.

— De moi ? disait Moreau, incrédule.

— Il a besoin, pour être fort, que l’on croie en sa force. Croyez.

— Croit-on, par volonté ?

— Vous en savez quelque chose !… Non, n’est-ce pas ?… Mais on croit, par amour.

— Par amour de ceux qui croient ?

— Est-ce que ce n’est pas toujours par amour, et seulement par amour, que l’on croit ?

Moreau était touché. Sa jeunesse intellectuelle, brûlante et desséchée par la soif de connaître, souffrait comme les meilleurs de sa classe bourgeoise, du manque d’affection fraternelle. La communion humaine est bannie de l’éducation d’aujourd’hui. Ce sentiment vital, constamment refoulé, s’était avec méfiance réveillé, dans les tranchées, ces fossés de chair vivante, souffrante, empilée ensemble. Mais on craignait de s’y livrer. L’endurcissement commun, la peur de la sentimentalité, l’ironie, engainaient le cœur. Depuis la maladie de Moreau, l’enveloppe d’orgueil était moins résistante. Clerambault n’eut pas de peine à la briser. Le bienfait de cet homme était qu’à son contact les amours-propres fondaient, car il n’en avait point ; et l’on se montrait à lui, comme il se montrait à vous, avec sa vraie nature, ses faiblesses et ses cris, qu’une fausse fierté enseigne à étouffer. Moreau, qui avait reconnu au front, sans trop se l’avouer, la supériorité d’hommes d’un rang social infé-