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dans les tranchées par un permissionnaire et circulant de main en main. Ils répondaient au cri de l’âme étouffée : « Ne pas mentir ! » Les journaux, les écrits, qui avaient l’impudence de présenter aux armées le tableau imposteur des armées, des lettres truquées du front, un héroïsme cabotin, des plaisanteries déplacées, la forfanterie abjecte de pitres à l’abri, qui font de la rhétorique avec la mort des autres, — les jetaient dans la fureur. Les sales baisers empoissés, dont les mouillaient ces prostitués de la presse, leur étaient un outrage : c’était comme si on tournait en dérision leurs souffrances. Enfin, dans Clerambault, ils trouvaient un écho… Non pas qu’il les comprit ! Nul ne pouvait les comprendre, qui n’eût partagé leur sort. Mais il avait pitié d’eux. Il parlait simplement, avec humanité, des malheureux de tous les camps. Il osait dire les injustices, communes à toutes les nations, qui avaient amené ces souffrances communes. Il ne supprimait pas leur peine ; mais il l’élevait dans une sphère d’intelligence respirable.

— … Si vous saviez comme on a besoin d’une parole de vraie sympathie ! On a beau être durs, après tout ce qu’on a vu, souffert et fait souffrir, — on a beau être vieux, (il y a parmi nous des grisons aux épaules voûtées), — nous sommes, à des moments, tous des enfants perdus qui cherchent leur mère, pour se faire consoler. Et ces mères, souvent… ah! ces mères ! elles sont si loin de nous, elles aussi !… On reçoit de la famille des lettres qui consternent… On est livré par les êtres de son sang…