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Clerambault vit la croix sur le tertre encore frais. Et il ne sut jamais si l’ami disparu avait au moins reçu ses paroles d’affection. — Il était mieux pour lui de rester dans le doute. Non, l’ami disparu n’avait pas reçu ses lettres ; ils lui avaient dérobé même cette lueur de joie…

La fin de l’été en Berry fut une des périodes les plus arides de la vie de Clerambault. Il ne causait avec personne. Il n’écrivait plus rien. Il n’avait aucun moyen de communiquer directement avec le peuple ouvrier. Dans les rares occasions où il s’était trouvé en contact avec lui (dans des foules, des fêtes, des Universités ouvrières) il se faisait aimer. Mais une timidité, au reste réciproque, empêchait de se livrer. D’un côté comme de l’autre, on avait le sentiment, orgueilleux ou gêné, de son infériorité : car Clerambault se croyait en bien des choses, et des plus essentielles, inférieur aux ouvriers intelligents. — (Il avait raison : c’est dans leurs rangs que se recruteront les chefs de l’avenir.) — L’élite ouvrière comptait alors de probes et virils esprits, qui eussent été faits pour comprendre Clerambault ; avec un idéalisme intact, ils restaient fermement attachés au réel ; habitués par la vie quotidienne au combat, aux déceptions, aux trahisons, ces hommes, dont plusieurs étaient, quoique jeunes encore, des vétérans de la lutte sociale, étaient dressés à la patience ; et ils eussent pu l’apprendre à Clerambault. Ils savaient que tout s’achète, que l’on n’a rien pour rien, que ceux qui veulent le bonheur des hommes à venir doivent le payer de leurs souffrances pro-