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son effort héroïque, que l’élite de la jeunesse, la force, l’intelligence, la sève vitale de la race s’en allait par torrents, et avec elle la richesse, le travail, le crédit du peuple de France ! La France, saignée aux quatre membres, suivait la route par où passa l’Espagne d’il y a quatre siècles, — la route qui conduit aux déserts de l’Escurial Mais qu’on ne lui parlât pas de la possibilité d’une paix qui mît fin au supplice, avant l’écrasement total de l’adversaire ! Il n’était pas permis de répondre aux avances que faisait alors l’Allemagne, — même pour les discuter. Il n’était même pas permis d’en parler. Et, comme les politiciens, les généraux, les journalistes, et les millions de pauvres bêtes qui répètent à tue-tête la leçon qu’on leur souffle, Daniel criait : « Jusqu’au dernier ! »

Clerambault regardait avec une affectueuse pitié ce brave garçon timide et héroïque, qui s’effarait à l’idée de discuter les dogmes dont il était victime. Son esprit scientifique n’avait-il pas une révolte devant le non-sens de ce jeu sanglant, dont la mort pour la France comme pour l’Allemagne — et peut-être plus que pour l’Allemagne — était l’enjeu ?

Si ! il se révoltait, mais il se raidissait pour ne pas se l’avouer. Daniel adjura de nouveau Clerambault… « Oui, ses pensées étaient peut-être justes, vraies… mais, pas maintenant ! Elles ne sont pas opportunes… Dans vingt ou cinquante ans !… Laissez-nous d’abord accomplir notre tâche, vaincre, fonder la liberté du monde, la fraternité des hommes, par la victoire de la France ! »