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sion. Pendant plusieurs années, ils partagèrent la surabondance bavarde de leurs pensées juvéniles. Tous deux rêvaient d’être artistes, se lisaient leurs essais, s’escrimaient en d’interminables discussions. Bertin avait toujours le dernier mot, — comme il primait en tout. Clerambault ne songeait pas à lui contester sa supériorité ; il l’eût beaucoup plutôt imposée à coups de poing à qui l’aurait niée. Il admirait bouche bée la virtuosité de pensée et de style de ce brillant garçon, qui récoltait en se jouant tous les succès universitaires, et que ses maîtres voyaient d’avance appelé aux plus hautes destinées, — ils voulaient dire : officielles et académiques. Bertin l’entendait bien ainsi. Il était pressé de réussir, et pensait que le fruit de la gloire est meilleur, quand on le mange avec des dents de vingt ans. Il n’était pas sorti de l’École qu’il trouvait moyen de publier dans une grande revue parisienne une série d’Essais, qui lui valurent une immédiate notoriété. Sans même prendre haleine, il produisit coup sur coup un roman à la d’Annunzio, une comédie à la Rostand, un livre sur l’Amour, un autre sur la Réforme de la Constitution, une enquête sur le Modernisme, une monographie de Sarah-Bernhardt, enfin des « Dialogues des vivants », dont la verve sarcastique et sagement dosée lui procura la chronique parisienne dans un des premiers journaux du boulevard. Après quoi, entré dans le journalisme, il y resta. Il était un des ornements du Tout Paris des lettres, quand le nom de Clerambault était encore inconnu. Clerambault, lentement, prenait possession de son monde intérieur ; il avait