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semble un peu factice, quoiqu’elle réponde à une bonhomie de nature ; mais la mode du jour y a mis une ou deux touches de trop. Nul n’est moins capable de comprendre les passions de la guerre que ces artistes qui professent avec une emphase sincère le respect religieux de tout ce qui vit. Les Calville s’étaient tenus en dehors du courant ; ils ne protestaient point, ils acceptaient, mais comme on accepte la maladie, la mort, la méchanceté des hommes, tristement, dignement, sans acquiescer. Les poèmes enflammés de Clerambault, qu’il était venu leur lire, écoutés poliment, rencontraient peu d’écho… — Mais voici qu’à l’heure même où Clerambault, désabusé de l’illusion guerrière, pensait les rejoindre, eux s’éloignaient de lui, car ils retournaient à la place qu’il venait de quitter. La mort du fils avait eu sur eux un effet opposé à celui qui transformait Clerambault. Maintenant, ils entraient gauchement dans la bataille, comme pour remplacer le disparu ; ils respiraient avidement la puanteur des journaux. Clerambault les trouva réjouis, dans leur misère, de l’assertion que l’Amérique était prête à faire une guerre de vingt ans. Il essaya de dire :

— Que restera-t-il de la France, de l’Europe, dans vingt ans ?

Mais ils écartèrent cette pensée, avec une hâte irritée. Il semblait qu’il fût inconvenant d’y songer, et surtout d’en parler. Il s’agissait de vaincre. À quel prix ? On compterait après. — Vaincre ? Et s’il ne restait plus, en France, de vainqueurs ? — N’importe !