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oripeaux ? Mieux vaut encore un monarque en chair et en os, qu’on voit, qu’on tient, et qu’on peut supprimer ! Mais ces abstractions, ces despotes invisibles, que nul ne connaîtra, ni n’a connus jamais !… Car nous n’avons affaire qu’aux grands Eunuques, aux prêtres du « crocodile caché » (ainsi que le nommait Taine), aux ministres intrigants, qui font parler l’idole. Ah ! que le voile se déchire et que nous connaissions la bête qui se dissimule en nous ! Il y aurait moins de danger pour l’homme à être une franche brute qu’à habiller sa brutalité d’un idéalisme menteur et maladif. Il n’élimine pas ses instincts animaux ; mais il les déifie. Il les idéalise et tâche de les expliquer. Comme il ne le peut sans les soumettre à une simplification excessive (c’est une loi de son esprit qui, pour comprendre, détruit autant qu’il prend), il les dénature en les intensifiant, dans une direction unique. Tout ce qui s’écarte de la ligne imposée, tout ce qui gêne la logique étroite de sa construction mentale, il fait plus que le nier, il le saccage, il en décrète la destruction, au nom de sacrés principes. De là que, dans l’infinité vivante de la nature, il opère des abatis immenses, pour laisser subsister les seuls arbres de pensée qu’il a élus : ils se développent dans le désert et les ruines, — monstrueusement. Tel l’empire accablant d’une l’orme despotique de la Famille, de la Patrie, et de la morale bornée, qu’on met à leur service. Le malheureux en est fier ; et il en est victime ! L’humanité qui se massacre n’oserait plus le faire pour ses seuls intérêts. Des intérêts, elle ne se vante point, mais elle se vante de ses Idées, qui sont mille fois plus