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idées, pour couvrir de leur masque les passions du meurtre ; il se disait pacifiste, en célébrant la guerre ; il se disait humanitaire, en mettant au préalable l’ennemi en dehors de l’humanité… Ah ! comme il eût été plus franc d’abdiquer devant la force que de se prêter avec elle à des compromis déshonorants ! C’était grâce à des sophismes comme les siens qu’on lançait dans la tuerie l’idéalisme des jeunes gens. Les penseurs, les artistes, les vieux empoisonneurs, emmiellaient de leur rhétorique le breuvage de mort que, sans leur duplicité, toute conscience eût aussitôt éventé et rejeté avec dégoût…

— Le sang de mon fils est sur moi, disait douloureusement Clerambault. Le sang des jeunes gens d’Europe, dans toutes les nations, rejaillit à la face de la pensée d’Europe. Elle s’est faite partout le valet du bourreau.

— Mon pauvre ami, dit Perrotin, penché vers Clerambault et lui prenant la main, vous exagérez toujours… Certes, vous avez raison de reconnaître les erreurs de jugement auxquelles vous avait entraîné l’opinion publique ; et je puis bien vous avouer aujourd’hui qu’elles m’affligeaient en vous. Mais vous avez tort de vous attribuer, d’attribuer aux parleurs, une telle responsabilité dans les faits d’aujourd’hui ! Les uns parlent, les autres agissent ; mais ce ne sont pas ceux qui parlent qui font agir les autres : ils s’en vont tous à la dérive. Cette pauvre pensée européenne est une épave comme les autres. Le courant l’entraîne ; elle ne fait pas le courant.