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Parmi ces âmes fades, menteuses et désœuvrées, capables de toutes les aberrations et des crimes, s’esquissent certaines natures plus saines : — les sincères, par naïveté maladroite comme Pierre Besoukhov, par indépendance foncière, par sentiment vieux-russe, comme Marie Dmitrievna, par fraîcheur juvénile, comme les petits Rostov ; — les âmes bonnes et résignées, comme la princesse Marie ; — et celles qui ne sont pas bonnes, mais fières, et que tourmente cette existence malsaine, comme le prince André.

Mais voici le premier frémissement des flots. L’action. L’armée russe en Autriche. La fatalité règne, nulle part plus dominatrice que dans le déchaînement des forces élémentaires, — dans la guerre. Les véritables chefs sont ceux qui ne cherchent pas à diriger, mais, comme Koutouzov ou comme Bagration, à « laisser croire que leurs intentions personnelles sont en parfait accord avec ce qui est en réalité le simple effet de la force des circonstances, de la volonté des subordonnés et des caprices du hasard ». Bienfait de s’abandonner à la main du Destin ! Bonheur de l’action pure, état normal et sain. Les esprits troublés retrouvent leur équilibre. Le prince André respire, commence à vivre… Et tandis que là-bas, loin du souffle vivifiant de ces tempêtes sacrées, les deux âmes les meilleures, Pierre et la princesse Marie, sont menacées par la contagion de leur monde, par le mensonge d’amour, André, blessé à Austerlitz, a soudain, au milieu de l’ivresse de l’action, bru-