âmes unies qui doucement se disjoignent et s’éloignent l’une de l’autre, la griserie dangereuse du monde pour la jeune femme, — coquetteries, jalousie, malentendus mortels, — l’amour voilé, perdu ; enfin le tendre et triste automne du cœur, la figure de l’amour qui reparaît, pâlie, vieillie, plus touchante par ses larmes, ses rides, le souvenir des épreuves, le regret du mal que l’on se fit et des années perdues, — sérénité du soir, passage auguste de l’amour à l’amitié et du roman de la passion à la maternité… Tout ce qui devait venir, tout, Tolstoï l’avait rêvé, goûté par avance. Et afin de le mieux vivre, il l’avait vécu en elle, en la bien-aimée. Pour la première fois, — l’unique fois peut-être dans l’œuvre de Tolstoï, — le roman se passe dans le cœur d’une femme et est raconté par elle. Avec quelle délicatesse ! Beauté de l’âme qui s’enveloppe d’un voile de pudeur… L’analyse de Tolstoï a renoncé, pour cette fois, à sa lumière un peu crue ; elle ne s’acharne pas, avec fièvre, à mettre à nu la vérité. Les secrets de la vie intérieure se laissent deviner, plutôt qu’ils ne sont livrés. Le cœur et l’art de Tolstoï sont attendris. Équilibre harmonieux de la forme et de la pensée : Bonheur conjugal a la perfection d’une œuvre racinienne.
Le mariage, dont Tolstoï pressentait avec une clarté profonde la douceur et les troubles, devait être son salut. Il était las, malade, dégoûté de lui et de ses efforts. Aux succès éclatants qui avaient accueilli ses premières œuvres avait