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De cette époque de transition, où le génie de Tolstoï tâtonne, doute de lui-même et semble s’énerver, « sans forte passion, sans volonté directrice », comme le Nekhludov du Journal d’un Marqueur, sort l’œuvre la plus pure qui soit jamais née de lui, le Bonheur Conjugal (1859)[1]. C’est le miracle de l’amour.

Depuis de longues années, il était ami de la famille Bers. Il avait été amoureux tour à tour de la mère et des trois filles[2]. Ce fut définitivement de la seconde qu’il s’éprit. Mais il n’osait l’avouer. Sophie-Andréievna Bers était encore une enfant : elle avait dix-sept ans ; lui, avait plus de trente ans : il se regardait comme un vieux homme, qui n’avait pas le droit d’associer sa vie usée, souillée, à celle d’une innocente jeune fille. Il résista, trois

  1. T. v. des Œuvres complètes.
  2. Quand il était enfant, il avait, dans un accès de jalousie, fait tomber d’un balcon celle qui devait devenir madame Bers, — sa petite camarade de jeux, alors âgée de neuf ans. Elle en resta longtemps boiteuse.