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vieux postillon phtisique et le bouleau abattu — a de la grandeur ; les portraits sont bien tracés, les images assez frappantes, bien que l’œuvre, trop vantée, soit d’une trame un peu lâche, et que la mort du bouleau manque de la poésie précise qui fait le prix des beaux paysages de Tolstoï. Dans l’ensemble, on ne sait encore ce qui l’emporte de l’art pour l’art ou de l’intention morale.

Tolstoï l’ignorait lui-même. Le 4 février 1859, pour son discours de réception à la Société Moscovite des Amateurs des Lettres russes, il faisait l’apologie de l’art pour l’art[1] ; et c’était le président de la Société, Khomiakov, qui, après avoir salué en lui « le représentant de la littérature proprement artistique », prenait contre lui la défense de l’art social et moral[2].

Un an plus tard, la mort de son frère chéri, Nicolas, emporté par la phtisie[3], à Hyères, le

  1. Discours sur la Supériorité de l’élément artistique dans la littérature sur tous ses courants temporaires.
  2. Il lui opposait ses propres exemples, le vieux postillon des Trois Morts.
  3. On remarquera que déjà un autre frère de Tolstoï, Dmitri, était mort de phtisie, en 1856. Tolstoï lui-même se croyait atteint, en 1856, en 1862 et en 1871. Il était, comme il l’écrit, le 28 octobre 1852, « d’une complexion forte, mais d’une santé faible ». Constamment, il souffrait de refroidissements, de maux de gorge, de maux de dents, de maux d’yeux, de rhumatismes. Au Caucase, en 1852, il devait, « deux jours par semaine au moins, garder la chambre ». La maladie l’arrête, plusieurs mois, en 1854, sur la route de Silistrie à Sébastopol. En 1856, il est sérieusement malade de la poitrine, à Iasnaïa. En 1862, par crainte de la phtisie, il va faire une cure de koumiss à Samara, chez les Bachkirs, et il y retournera presque chaque année, après 1870. Sa correspondance avec Fet est pleine de ces préoccupations. Cet état de santé fait mieux comprendre l’obsession de sa pensée