Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/55

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tient pas « à l’art de lire et d’écrire que lui imposent les intellectuels », il a ses raisons pour cela : il a d’autres besoins d’esprit plus pressants et plus légitimes. Tâchez de les comprendre et aidez-le à les satisfaire !

Ces libres théories d’un conservateur révolutionnaire, comme il fut toujours, Tolstoï tâcha de les mettre en pratique, à Iasnaïa, où il se faisait beaucoup plus le condisciple que le maître de ses élèves[1]. En même temps, il s’efforçait d’introduire dans l’exploitation agricole un esprit plus humain. Nommé en 1861 arbitre territorial, dans le district de Krapivna, il fut le défenseur du peuple contre les abus de pouvoir des propriétaires et de l’État.

Mais il ne faudrait pas croire que cette activité sociale le satisfît et le remplît tout entier. Il continuait d’être la proie de passions ennemies. En dépit qu’il en eût, il aimait le monde, toujours, et il en avait besoin. Le plaisir le reprenait, par périodes ; ou c’était le goût de l’action. Il risquait de se faire tuer dans des chasses à l’ours. Il jouait de grosses sommes. Il lui arrivait même de subir l’influence du milieu littéraire de Pétersbourg, qu’il méprisait. Au sortir de ces aberrations, il tombait dans des crises de dégoût. Les œuvres de cette époque portent fâcheusement les traces de cette incertitude

  1. Tolstoï a exposé ces théories dans la revue Iasnaïa Poliana, 1862 (t. xiii des Œuvres complètes). — Sur Tolstoï éducateur, voir l’excellent livre de Charles Baudouin, Neuchâtel et Paris, 1920.