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Après avoir lu ces pages[1], le directeur du Sovrémennik, Nekrasov, écrivait à Tolstoï :

Voilà précisément ce qu’il faut à la société russe d’aujourd’hui : la vérité, la vérité, dont, depuis la mort de Gogol, il est si peu resté dans la littérature russe… Cette vérité que vous apportez dans notre art est quelque chose de tout à fait nouveau chez nous. Je n’ai peur que d’une chose : que le temps et la lâcheté de la vie, la surdité et le mutisme de tout ce qui nous entoure fassent de vous ce qu’ils ont fait de la plupart d’entre nous, — qu’ils ne tuent en vous l’énergie[2].

Rien de pareil n’était à craindre. Le temps, qui use l’énergie des hommes ordinaires, n’a fait que tremper celle de Tolstoï. Mais, sur le moment, les épreuves de la patrie, la prise de Sébastopol, réveillèrent, avec un sentiment de douloureuse piété, le regret de sa franchise trop dure. Dans le troisième récit, — Sébastopol en août 1855, — racontant une scène d’officiers qui jouent et se querellent, il s’interrompt et dit :

Mais baissons vite le voile sur ce tableau. Demain, aujourd’hui peut-être, chacun de ces hommes ira joyeusement à la rencontre de la mort. Au fond de l’âme de chacun couve la noble étincelle qui fera de lui un héros.

  1. Que la censure mutila.
  2. 2 septembre 1855, trad. J.-W. Bienstock.