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— « Par ici, par ici, camarades ! voici quelqu’un à piquer ! »

Et il était clair pour lui qu’ici il n’était plus un gentilhomme russe, de la société de Moscou, ami et parent de tel ou tel, mais simplement un être comme le moucheron, le faisan, le cerf, comme ceux qui vivaient, qui rôdaient maintenant autour de lui.

— « Comme eux, je vivrai, je mourrai. Et l’herbe poussera dessus… »

Et son cœur est joyeux.

Tolstoï vit, à cette heure de jeunesse, dans un délire de force et d’amour de la vie. Il étreint la Nature et se fond avec elle. En elle, il verse, il endort, il exalte ses chagrins, ses joies et ses amours[1]. Mais cette ivresse romantique ne porte jamais atteinte à la lucidité de son regard. Nulle part plus qu’en ce poème ardent, les paysages ne sont peints avec une telle puissance, ni les types avec plus de vérité. L’opposition de la nature et du monde, qui fait le fond du livre, et qui sera, toute sa vie, un des thèmes favoris de la pensée de Tolstoï, un article de son Credo, lui fait déjà trouver, pour fustiger la comédie du monde, quelques âpres accents de la Sonate à Kreutzer[2].

  1. « Peut-être, dit Olénine, amoureux de la jeune Cosaque, aimé-je en elle la Nature… En l’aimant, je me sens faire partie indivise de la Nature. »

    Souvent, il compare celle qu’il aime à la Nature.

    « Elle est, comme la Nature, égale, tranquille et taciturne. »

    Ailleurs, il rapproche l’aspect des montagnes lointaines et de « cette femme majestueuse ».

  2. Ainsi, dans la lettre d’Olénine à ses amis de Russie.