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Cette ivresse du cœur coule, désordonnée. Le héros, Olénine, est venu, comme Tolstoï, se retremper au Caucase, dans la vie d’aventures ; il s’éprend d’une jeune Cosaque et s’abandonne au tohu-bohu de ses aspirations contradictoires. Tantôt il pense que « le bonheur, c’est de vivre pour les autres, de se sacrifier », tantôt que « le sacrifice de soi n’est que sottise » ; alors, il n’est pas loin de croire, avec le vieux cosaque Erochka, que « tout se vaut. Dieu a fait tout pour la joie de l’homme. Rien n’est péché. S’amuser avec une belle fille n’est pas un péché, c’est le salut. » Mais qu’a-t-il besoin de penser ? Il suffit de vivre. La vie est tout bien, tout bonheur, la vie toute-puissante, universelle : la Vie est Dieu. Un naturisme brûlant soulève et dévore l’âme. Perdu dans la forêt, au milieu de « la végétation sauvage, de la multitude de bêtes et d’oiseaux, des nuées de moucherons, dans la verdure sombre, dans l’air parfumé et chaud, parmi de petits fossés d’eau trouble qui partout clapotaient sous le feuillage », à deux pas des embûches de l’ennemi, Olénine « est pris tout à coup par un tel sentiment de bonheur sans cause que, par une habitude d’enfance, il se signe et se met à remercier quelqu’un ». Comme un fakir hindou, il jouit de se dire qu’il est seul et perdu dans ce tourbillon de vie qui l’aspire, que des myriades d’êtres invisibles guettent en ce moment sa mort, cachés de tous côtés, que ces milliers d’insectes bourdonnent autour de lui, s’appelant :