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tous les impôts perçus par contrainte, toutes nos institutions de justice et de police, et avant tout l’armée, soient abolis.

« Le printemps dernier, à l’examen religieux d’un institut de jeunes filles, à Moscou, l’instructeur religieux d’abord, puis l’archevêque qui y assistait ont interrogé les fillettes sur les Dix Commandements, et principalement sur le Cinquième : « Tu ne tueras point ! » Quand la réponse était juste, l’archevêque ajoutait souvent cette autre question : « Est-il toujours et dans tous les cas défendu de tuer par la loi de Dieu ? » Et les pauvres filles, perverties par les professeurs, devaient répondre et répondaient : « — Non, pas toujours. Car dans la guerre et pour les exécutions, il est permis de tuer. » — Cependant une de ces malheureuses créatures (ceci m’a été raconté par un témoin oculaire) ayant reçu la question coutumière : « — Le meurtre est-il toujours un péché ? » — rougit et répondit, émue et décidée : « — Toujours ! » Et à tous les sophismes de l’archevêque elle répliqua, inébranlable, qu’il était interdit toujours, dans tous les cas, de tuer, — et cela déjà par le Vieux Testament : quant au Christ, il n’a pas seulement défendu de tuer, mais de faire du mal à son prochain. Malgré toute sa majesté et son habileté oratoire, l’archevêque eut la bouche fermée, et la jeune fille l’emporta.

« Oui, nous pouvons bavarder, dans nos journaux, sur le progrès de l’aviation, les complications de la diplomatie, les clubs, les découvertes, les soi-disant œuvres d’art, et passer sous silence ce qu’a dit cette jeune fille ! Mais nous ne pouvons pas en étouffer la pensée, car tout homme chrétien sent comme elle plus ou moins obscurément. Le socialisme, l’anarchisme, l’Armée du Salut, la criminalité croissante, le chômage, le luxe monstrueux des riches, qui ne cesse d’augmenter, et la noire misère des pauvres, la terrible progression des suicides, tout cet état de choses témoigne de la contradiction intérieure, qui doit être et qui sera résolue. Résolue, vraisemblablement, dans le sens de la reconnaissance de la loi d’amour et de la condamnation de tout emploi de