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porter Tolstoy, du Rêve en Dieu des yogis au seuil de la grande action de Vivekananda et de Gandhi, — de l’Hind-Swaraj.

Détours étranges du destin ! Le premier qui l’y conduisit fut l’homme qui, plus tard, devait devenir le meilleur lieutenant du Mahâtmâ indien, mais qui, en ce temps, était encore, comme Paul avant le chemin de Damas, le violent ennemi de ces pensées : C. R. Das[1]… Est-il permis d’imaginer que la voix de Tolstoy a pu contribuer à le ramener à sa vraie mission ? — À la fin de 1908, C.-R. Das était dans le camp de la Révolution. Il écrivit à Tolstoy, sans lui rien voiler de sa foi violente ; il combattait, à visage découvert, la doctrine tolstoyenne de la Non-Résistance ; et cependant, il lui demandait un mot de sympathie pour son journal, Free Hindostan. Tolstoy répondit une très longue lettre, presque un traité, qui, sous le titre de Lettre à un Indien, 14 décembre 1908, se répandit dans le monde entier. Il proclamait énergiquement la doctrine de la Non-Résistance et de l’Amour, en encadrant chaque partie de son argumentation dans des citations de Krishna. Il n’apportait pas moins de vigueur dans son combat contre la nouvelle superstition de la science que contre les anciennes superstitions religieuses. Et il faisait aux Indiens un reproche véhément de renier leur sagesse antique pour épouser l’erreur d’Occident.

« On pouvait espérer, disait-il, que, dans l’immense monde brahmano-bouddhiste et confucianiste, ce nouveau préjugé scientifique n’aurait point place, et que les Chinois, les Japonais, les Hindous, ayant compris le mensonge religieux qui justifie la violence, arriveraient directement à concevoir la loi de l’amour, propre à l’humanité, qui fut promulguée avec une force si éclatante par les grands maîtres de l’Orient. Mais la superstition de la science, qui a remplacé celle de la

  1. C.-R. Das, mort récemment, était devenu l’ami intime de Gandhi et le chef politique du parti Swarajiste indien, qui veut concilier les méthodes de Non-Violence avec la participation aux Conseils législatifs.