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retrouvant au Kaschmir le tombeau de « Ijuz Azaf » (Jésus), et il lui en envoie une photo, avec le portrait de son saint réformateur.

On ne saurait imaginer l’admirable tranquillité, à peine teintée d’ironie (ou de mélancolie), avec laquelle Tolstoy reçoit ces étranges avances. Qui ne l’a point vu dans ces controverses ne connaît point la souveraine modération où sa nature impérieuse était arrivée. Jamais il ne se départit de sa courtoisie et de son calme bon sens. C’est l’interlocuteur mahométan qui s’emporte, qui lui prête, irrité, « un reste des préjugés chrétiens du moyen âge[1] » ou qui, à son refus de croire en le nouveau Messie musulman, lui oppose la classification menaçante que le saint homme fait, en trois compartiments, des hommes recevant la lumière de la vérité :

« … Les uns la reçoivent par leur propre raison. Les autres par les signes visibles et les miracles. Les troisièmes par la force de l’épée. (Exemple : le Pharaon, à qui Moïse a dû faire boire la mer Rouge, pour le convaincre de son Dieu.) Car « le Prophète envoyé par Dieu doit enseigner au monde entier[2]… »

Tolstoy ne suit pas ses correspondants agressifs sur le terrain de combat. Son noble principe est que les hommes, aimant la vérité, ne doivent jamais appuyer sur les différences entre les religions et sur leurs manques, mais sur ce qui les unit et ce qui fait leur prix. — « C’est à quoi je m’efforce, dit-il, envers toutes les religions, et notamment envers l’Islam[3]. » — Il se contente de répondre au bouillant mufti que « le devoir de quiconque possède un sentiment vraiment religieux est de donner l’exemple d’une vie vertueuse. » C’est là tout ce dont nous avons besoin[4]. Il admire Mahomet, et certaines de ses paroles l’ont ravi[5].

  1. Asfendiar Woissow, de Constantinople.
  2. Lettre de Mohammed Sadig, 22 juillet 1903.
  3. Lettre d’Elkibajew, 10 juin 1908.
  4. À Mohammed Sadig, 20 août 1903.
  5. Tolstoy était enthousiaste de la prière de Mahomet pour la pauvreté : « Seigneur, conserve ma vie en pauvreté et fais qu’en pauvreté je meure ! »