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Dès 1884, il étudiait Confucius et Laotse ; ce dernier était son préféré, parmi les sages de l’antiquité[1]. Mais, en fait, Tolstoy dut attendre jusqu’en 1905 pour échanger sa première lettre avec un compatriote de Laotse, et il ne paraît avoir eu que deux correspondants chinois. Il est vrai qu’ils sont de marque. L’un était un savant, Tsien Huang-t’ung ; l’autre ce grand lettré Ku-Hung-Ming, dont le nom est bien connu en Europe[2], et qui, professeur d’Université à Pékin, chassé par la Révolution, a dû s’exiler au Japon.

Dans les lettres qu’il adresse à ces deux Chinois d’élite, et particulièrement dans celle, très longue, à Ku-Hung-Ming, qui a la valeur d’un manifeste (octobre 1906), Tolstoy exprime l’attachement et l’admiration qu’il éprouve pour le peuple chinois. Ces sentiments ont été renforcés par les épreuves que la Chine a subies, avec une noble mansuétude, en ces dernières années où les nations d’Europe ont fait assaut contre elle d’ignobles brutalités. Il l’engage à persévérer dans cette sereine patience et prophétise qu’elle lui devra la victoire finale. L’exemple de Port-Arthur, dont l’abandon par la Chine à la Russie a coûté si cher à la Russie (guerre russo-japonaise), assure qu’il en sera de même pour l’Allemagne à Kiautschau et pour l’Angleterre à Wei-ha-Wei. Les voleurs finissent toujours par se voler entre eux. — Mais Tolstoy est inquiet d’apprendre que, depuis peu, l’esprit de violence et de guerre s’éveille chez les Chinois ; il les conjure d’y résister. S’ils se laissaient gagner par la contagion, ce serait un désastre, non seulement dans le sens où l’entendait « un des plus grossiers et ignares représentants de l’Occident, le Kaiser d’Allemagne », qui redoutait pour l’Europe le péril jaune, — mais dans l’intérêt supérieur de l’humanité. Car, avec la vieille

  1. Il semble que certains Chinois aient reconnu aussi ces affinités. Un voyageur russe en Chine écrit en 1922 que l’anarchisme chinois est imbu de Tolstoy et que leur précurseur commun est Laotse.
  2. La librairie Stock vient de publier la traduction française de son livre : L’Esprit du peuple chinois, avec préface de Guglielmo Ferrero, 1927.