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séduire. Mais à peine l’a-t-il revue que c’est lui qui demande pardon. Et toutefois (la tendresse de Tolstoy et son idéalisme ne l’abusent jamais) il ne peut arriver à vaincre le sentiment de dégoût que lui cause la vue de l’enfant de sa fille. — Khodynka, une courte nouvelle, dont l’action se passe en 1893 : Une jeune princesse russe, qui a voulu se mêler à une fête populaire de Moscou, se trouve prise dans une panique, foulée aux pieds, laissée pour morte et ranimée par un ouvrier, qui a été lui-même rudement bousculé. Un sentiment de fraternité affectueuse les unit un instant. Puis ils se quittent et ne se verront plus.

De dimensions beaucoup plus vastes, et s’annonçant comme un roman épique, est Hadji-Mourad (décembre 1902), qui raconte un épisode des guerres du Caucase en 1851[1]. Tolstoy, en l’écrivant, était dans la pleine maîtrise de ses moyens artistiques. La vision (des yeux et de l’âme) est parfaite. Mais, chose curieuse, on ne s’intéresse pas véritablement à l’histoire : car on sent que Tolstoy ne s’y intéresse pas tout à fait. Chaque personnage qui paraît, au cours du récit, éveille juste autant de sympathie chez lui ; et de chacun, même s’il ne fait que passer sous nos yeux, il trace un portrait achevé. Mais à force d’aimer tous, il ne préfère rien. Il semble écrire cette remarquable nouvelle, sans besoin intérieur, par une nécessité toute physique. Comme d’autres exercent leurs muscles, il faut qu’il exerce son mécanisme intellectuel. Il a besoin de créer. Il crée.

D’autres œuvres ont un accent personnel, souvent jusqu’à l’angoisse. Il en est d’autobiographiques, comme Le journal d’un fou (20 octobre 1883), qui retrace le souvenir des premières nuits d’effroi de Tolstoy, avant la crise de 1869[2], et comme Le Diable (19 novembre 1889). Cette dernière et très longue

  1. « Dont je fus témoin, pour une partie », écrit Tolstoy.
  2. Voir p. 71 et 72.