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rine ii), et surtout une puissante peinture du tsar mystique et violent, dont la nature orgueilleuse a encore des soubresauts de réveil chez le vieillard pacifié.

Le père Serge (1891-1904) est aussi dans la grande manière de Tolstoy ; mais le récit est un peu écourté. Il a pour sujet l’histoire d’un homme qui cherche Dieu dans la solitude et l’ascétisme, par orgueil blessé, et qui finit par le trouver parmi les hommes, en vivant pour eux. La sauvage violence de quelques pages vous saisit à la gorge. Rien de sobre et de tragique comme la scène où le héros découvre la vilenie de celle qu’il aimait : — (sa fiancée, la femme qu’il adorait comme une sainte, a été la maîtresse du tsar qu’il vénérait passionnément). Non moins saisissante est la nuit de tentation, où le moine, pour retrouver la paix de l’âme troublée, se tranche un doigt avec une hache. À ces épisodes farouches s’opposent l’entretien mélancolique de la fin, avec la pauvre vieille petite amie d’enfance, et les dernières pages, d’un laconisme indifférent et serein.

C’était aussi un sujet émouvant que La mère : Une bonne et raisonnable mère de famille, après s’être pendant quarante ans vouée tout entière aux siens, se trouve seule, sans activité, sans raison d’agir, et, quoique libre penseuse, se retire sous l’aile d’un couvent et écrit son Journal. Mais les premières pages seules de cette œuvre subsistent.

Une série de petits récits sont d’un art supérieur :

Alexis le Pot, qui se relie à la veine des beaux contes populaires. Histoire d’un simple, toujours sacrifié, toujours doucement satisfait, et qui meurt. — Après le bal (20 août 1903) : Un vieillard raconte comment il aimait une jeune fille et comment il cessa brusquement de l’aimer, après avoir vu le père, un colonel, commander la fustigation d’un soldat. Œuvre parfaite, d’abord d’un charme exquis de souvenirs juvéniles, puis d’une précision hallucinante. — Ce que j’ai vu en rêve (13 novembre 1906) : Un prince ne pardonne pas à sa fille qu’il adorait, parce qu’elle s’est enfuie de la maison, après s’être laissé