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ils ont la vérité, et ils s’y tiennent avec assurance. Pour ceux-là, Tolstoï était un faible et un sentimental, qui ne peut servir d’exemple. Sans doute, il n’est pas un exemple qu’ils puissent suivre : ils ne sont pas assez vivants. Tolstoï n’appartient pas à l’élite vaniteuse, il n’est d’aucune église, — pas plus de celle des Scribes, comme il les appelait, que de celles des Pharisiens de l’une ou l’autre foi. Il est le type le plus haut du libre chrétien, qui s’efforce, toute sa vie, vers un idéal qui reste toujours plus lointain[1].

Tolstoï ne parle pas aux privilégiés de la pensée, il parle aux hommes ordinaires — hominibus bonæ voluntatis. — Il est notre conscience. Il dit ce que nous pensons tous, âmes moyennes, et ce que nous craignons de lire en nous. Et il n’est pas pour nous un maître plein d’orgueil, un de ces génies hautains qui trônent dans leur art et leur intelligence, au-dessus de l’humanité. Il est — ce qu’il aimait à se nommer lui-même dans ses lettres, de ce nom le plus beau de tous, le plus doux, — « notre frère ».

Janvier 1911.
  1. « Un chrétien ne saurait être moralement supérieur ou inférieur à un autre ; mais il est d’autant plus chrétien qu’il se meut plus rapidement sur la voie de la perfection, quel que soit le degré sur lequel il se trouve, à un moment donné : en sorte que la vertu stationnaire du pharisien est moins chrétienne que celle du larron, dont l’âme est en plein mouvement vers l’idéal, et qui se repent sur sa croix. » (Plaisirs Cruels, trad. Halpérine-Kaminsky.)