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que le bien surpassait le mal, j’avais mon intérêt à tout dire[1] ». Tolstoï, après avoir essayé, renonce à écrire ses Mémoires ; la plume lui tombe des mains : il ne veut pas être un objet de scandale pour ceux qui le liront :

Des gens diraient : Voilà donc cet homme que plusieurs placent si haut ! Et quel lâche il était ! Alors, à nous, simples mortels, c’est Dieu lui-même qui ordonne d’être lâches[2].

Jamais Rousseau n’a connu de la foi chrétienne la belle pudeur morale, l’humilité qui donne au vieux Tolstoï une candeur ineffable. Derrière Rousseau, — encadrant la statue de l’île aux Cygnes — on voit Saint-Pierre de Genève, la Rome de Calvin. En Tolstoï, on retrouve les pèlerins, les innocents, dont les confessions naïves et les larmes avaient ému son enfance.

Mais, bien plus encore que la lutte contre le monde, qui lui est commune avec Rousseau, un autre combat remplit les trente dernières années de la vie de Tolstoï, un magnifique combat entre les deux plus hautes puissances de son âme : la Vérité et l’Amour.

La Vérité, — « ce regard qui va droit à l’âme », — la lumière pénétrante de ces yeux gris qui vous

  1. Quatrième Promenade.
  2. Lettre à Birukov.